Les enfants trop gâtés expérimentent ces quatre déconvenues à l’âge adulte

Par Céline Baron, sophrologue et psychopraticienne installée à Vichy

Dans un contexte où l’abondance matérielle est souvent perçue comme une preuve d’affection, certains enfants grandissent sans jamais apprendre à faire face au manque. Cette absence totales de limites, si elle peut rassurer à court terme, peut se retourner contre ses bénéficiaires à l’âge adulte. Certains psychologues et pédopsychiatres observent clairement un pattern récurrent : ces adultes connaissent des difficultés relationnelles, professionnelles et existentielles qui trouvent leur racine dans une enfance trop comblée où la frustration n’a pas été permise.

1. Une intolérance à la frustration

C’est sans doute la conséquence la plus visible. L’enfant habitué à voir ses désirs comblés immédiatement n’apprend pas à différer la satisfaction. À l’âge adulte, cette incapacité se traduit par une grande vulnérabilité face à l’échec, au refus ou à la lenteur du monde réel. Ainsi certains étudiants abandonnent leur cursus à la première difficulté, au premier échec. De jeunes travailleurs démissionnent dès la première réflexion de l’employeur. Dans la vie amoureuse certains écueils apparaissent également : la première prise de distance du partenaire, le premier conflit est vécu comme un crève-coeur. Certaines jeunes filles ont été tellement adulées par leurs parents qu’elles s’effondrent dès qu’elles ne se sentent plus « validées » par l’autre ou que l’autre émet des doutes à leur sujet. On voit parfois se mettre en place, chez les parents une forme de contre-offensive : « Cet homme est nul, il ne mérite pas notre progéniture ». Il y a dans cette posture de mettre l’enfant sur un piédestal une forme de lien de subordination : les parents décident en sa place, mettant en avant des preuves flagrantes de leur inquiétude : l’autre ne suffira jamais !

« Quand on n’a jamais appris à tolérer la frustration, chaque désagrément devient une tragédie », rappelait Albert Ellis, pionnier de la thérapie cognitive américaine.

« Si l’on protège trop quelqu’un des heurts de la vie, on l’empêche de développer sa propre solidité intérieure », observaitencoreCarl Rogers, figure majeure de la psychologie humaniste américaine.

« Une société qui surprotège ses enfants finit par les rendre vulnérables à la moindre offense », avertitlui aussiJonathan Haidt, psychologue social à l’université de New York…

Ces individus peuvent donc peinerà supporter les contraintes inhérentes à la vie professionnelle ou sentimentale.Là où d’autres s’adaptent, ils se cabrent,convaincus que les choses devraient leur revenir naturellement.

2. Une autonomie fragile

Derrière la générosité parentale se cache parfois une forme d’emprise subtile. En comblant tous les besoins matériels ou affectifs, certains parents empêchent l’enfant de construire sa propre autonomie. À l’âge adulte, cette dépendance se traduit souvent par une difficulté à se prendre en charge, à gérer son budget, à faire des choix ou à s’engager dans la durée.

« Le sous-entendu, c’est : “tu n’as pas à affronter la réalité, nous la modifierons pour toi” », analysait Albert Ellis, pionnier de la thérapie cognitive américaine.

Résultat : une génération d’adultes compétents mais anxieux, capables sur le plan technique mais fragiles sur le plan psychique.

3. Une vision déformée de la réussit

Lorsque tout a toujours été acquis sans effort, la notion même de mérite perd sa substance. Ces adultes oscillent souvent entre deux extrêmes : le perfectionnisme et l’apathie. Certains cherchent désespérément à prouver leur valeur en enchaînant les succès, et les réussites (ce qui peut braquer l’entourage éloigné, provoquer des affaires de jalousie familiale) tandis que d’autres, incapables d’en percevoir le sens, se désengagent.
Dans les deux cas, la relation au travail s’en trouve altérée. Le monde professionnel, avec ses hiérarchies, ses lenteurs et ses frustrations, devient le lieu d’un malaise constant.

4. Le sentiment d’un vide intérieur

C’est la conséquence la plus silencieuse, mais sans doute la plus douloureuse. À force d’avoir tout reçu, ces adultes ne savent plus ce qui peut réellement les combler. Habitués à la gratification immédiate, ils peinent à goûter la satisfaction durable que procure l’effort ou la simplicité. Bien souvent ces enfants ont besoin d’actes, de possessions et de voyages « extraordinaires » pour se sentir vivre et se ressentir comme « valables ». Une quête qui, à l’âge adulte, avec des finances souvent moins conséquentes que celles des parents, peut entraîner une course au sublime, qui affiche un prix élevé…

« Le bonheur ne vient pas de la quantité de ce que nous possédons, mais de notre capacité à désirer encore », souligne le psychologue américain

Barry Schwartz, auteur de The Paradox of Choice.
Or, dans un environnement où le manque n’a jamais eu sa place, le monde paraît vite fade, et l’existence, dénuée de sens.Lorsque tout nous est servi sur un plateau qu’espérer ?

Prenons l’exemple d’une jeune fille, T. T. a entrepris des études universitaires relativement faciles comparées à des cursus élitistes comme la Médecine ou le Droit, pourtant ses parents ont souhaité lui offrir, dans ce cadre, le meilleur pour lui éviter tout échec. Alors qu’elle vivait à 60 mn de RER de la faculté, ils lui ont payé un appartement hors de prix juste en face de l’université. Puis elle a cumulé, avec leur aide financière, les cours de soutien dans à peu près toutes les matières. Pour qu’elle puisse avoir ses stages-terrains, ils ont payé très cher des voyages à l’étranger etc. Aujourd’hui T. ne ressent aucun mérite à avoir réussi là où certains ont échoué. Son doctorat c’est la victoire du porte-monnaie de ses parents, pas « la sienne »…Un goût d’échec qui la suivra une grande partie de sa vie,d’autant plus qu’aux yeux de ses amis, elle est juste quelqu’un de « chanceux » né sous une bonne étoile, pas une personne « méritante ». Double punition donc…

Réhabiliter la frustration comme apprentissage

Les spécialistes s’accordent : la frustration n’est pas une punition, mais un outil de construction psychique. Elle enseigne la patience, la créativité et la résilience — autant de compétences affectives indispensables à la vie adulte. Elle enseigne aussi un équilibre subtil, celui entre frustration et gestion des émotions, entre énervement et abandon et analyse et persévérance…

Aimer un enfant, ce n’est pas lui épargner toute contrariété ; c’est lui donner la capacité d’y faire face. Dans une époque d’abondance et de surstimulation, réintroduire le manque n’a rien de cruel. C’est, au contraire, un acte d’éducation profondément humaniste : celui qui prépare l’enfant à affronter la complexité du monde sans s’y effondrer.

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